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Un pays c'est comme un stade (extrait)

Viendra le plus dur Alex, inventer demain avec nos ennemis ».

Il avait beaucoup discuté avec son père, tout en l’aidant à relier au moyen de bouts de ficelle les cahiers clandestins de Descartes, Hugo, et surtout Maïakovski dont le vieux avait été, avant la fermeture de l’imprimerie, l’éditeur thuriféraire. Des amis la fréquentaient encore, en secret, la nuit. Le gamin s’enivrait de leurs discussions denses et chuchotées, évoquant des projets auxquels il ne comprenait rien, mais au cœur desquels revenaient souvent les mêmes expressions : « Faudra penser à », « Fais bien attention à », «  On a plus de nouvelles de »… Parfois un homme ou une femme déboulaient soudain pour annoncer qu’il valait mieux lever le camp. Eduardo, fasciné, regardait disparaitre dans la doublure des manteaux, des jupes, des vestes, les feuillets pliés en quatre dans le sens de la longueur. En une courte minute l’appartement se retrouvait vide, rangé, apaisé, encore tout vibrant d’intangibles espérances. Eduardo aimait ça. Dès qu’il avait su lire, il avait voulu savoir. À six ans il emportait des feuillets dans sa chambre. A dix ans il déclamait déjà des passages entiers de La légende siècles ou du Nuage en pantalon.

Face aux clubs des Prussiens, on trouvait les clubs des Français où se cultivaient la langue et l’art de la rhétorique républicaine, camouflée au sein de discours à double sens. Une curieuse clandestinité publique s’entretenait ainsi, secrète communion de gauche, prudente, orale, décalée.

Le père fréquentait donc un club de randonnée pédestre ; lui-même Eduardo, avait fini par rallier un club de supporter de football. Le vieux s’en était irrité : «  Fils, je vais te dire une chose : « Un stade, un pays, ou d’autres rassemblements de plus de cinq personnes, c’est pareil…. Tu verras ! Le groupe, c’est le groupe. Fais attention ! »

 
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